historien maritime, journaliste, poète et conteur (1920-1987)

historien maritime, journaliste, poète et conteur (1920-1987)
portrait du 19 mai 1946 réalisé par sa sœur Geneviève, surnommée Vève

mercredi 29 décembre 2010

Robert de la Croix avec sa mère






Robert de la Croix devant son bureau et avec sa mère Marie-Sophie de la Croix-Bousquet. Marie-Sophie Bousquet était la veuve de Maurice de la Croix, directeur de la conserverie lorientaise Philippe et Canot et ancien Président du Syndicat des fabricants de conserves de Nantes, de Loire-inférieure et de Vendée. Robert était l'avant dernier enfant d'une fratrie de 7 enfants..

Articles de presse sur Robert de la Croix et documents divers





A Nantes chez sa sœur Jacqueline et chez son beau-frère Gérard Hautebert, Robert de la Croix initie ses neveux à l'apprentissage d'un compliment qu'ils devront réciter à leur Grand-Mère Marie-Sophie de la Croix-Bousquet










Escale lorientaise pour l'écrivain Robert de la Croix







Robert de la Croix avec ses neveux, Sophie et Joël Hautebert durant des vacances d'été à Port-Louis près de Lorient. Sophie, fille de sa petite sœur Jacqueline Hautebert-de la Croix est également sa filleule.

le prix littéraire Robert de la Croix à Concarneau le 16 juillet 1990 en présence de Henri Quéffelec







des ouvrages traduits dans toutes les langues



They Flew the Atlantic by Robert de la Croix, translated from the French by Edward FITZGERALD
Today great airliners cross the Atlantic with the regularity of trains. The service has become a commonplace - so much so that the daring and heroism of the pionneers who paved the way is already growing dim in the public mind.
Ask most people today who first flew the Atlantic, and you will probably get a wrong answer. For the record, it was two Englishmen, Alcock and Brown, in a converted Vickers-Vimy bomber, and such a long time elapsed before it was flown again (eight years) that their triumph was largely forgotten. And it was another Englishman, Major Scott, and his crew who first flew an airship to America ans back-again years before the achievement was repeated.
But, of course, the final conquest of the Atlantic was the joint work of the flyers of many nations. An American named Wellman was the First World War. Two Germans (Baron von Huenefeld and Hermann Kohl) and an Irishman (Major Fitzmaurice) made the first East-West crossing. A young American, Charles A. Lindbergh, made the first nonstop solo flight across the Atlantic.
Not all those who tried were succesfull, however, and many of them lost their lives: the gallant Frenchmen Nungesser and Coli; Hamilton, Minchin and Princess Loewenstein-Wertheim; Lloyd Bertaud, Hill and Payne; Tully and Metcalfe; the French and Jean Mermoz - and all too many others. Some of them were experienced flyers with a sober purpose who ran into bad luck; others were irresponsible sensation-seekers. But all were men and women of high courage.
Robert de la Croix re-tells their story here, and it makes a thrilling and often heart-warming tale of extraordinary adventures, hair-breadth escapes, triumph, disaster - and ultimate victory.

LIBERTALIA OU LE PIRATE DE DIEU de Thomas Narcejac et Robert de la Croix

Le Pirate de Dieu est l'histoire romancée de Libertalia, une république idéale fondée au début du XVIIIème siècle à Madagascar par un marin français, le chevalier MISSON, un jésuite romain, le père CARACCIOLI.
Qu'ont ces hommes en commun? MISSON a rejeté les structures familiales et l'ordre social. CARACCIOLI s'est rebellé contre ses supérieurs et une religion éloignée de l'Evangile. L'officier fait embarquer le moine comme aumônier sur sa frégate La Victoire.
En mer, ils mûrissent une idée folle: celle de bâtir une cité où régnerait l'égalité dans l'observation des lois de Dieu. Le hasard veut qu'au cours d'un combat avec une frégate anglaise le commandant et le second de la Victoire meurent. Voilà MISSON maître à bord. Le sort en est jeté. Entraînés par CARACCIOLI, MISSON puis tous les hommes de l'équipage de la frégate acceptent de devenir les apôtres d'une nouvelle société sous la bannière de "Dieu et de la Liberté". Et pour ce faire, ils deviennent pirates. D'étranges pirates qui, lorsqu'ils prennent un bâtiment à l'abordage, proposent à leurs prisonniers le Paradis sur Terre!

Ils touchent Madagascar. Dans une baie, ils édifient la cité de leurs rêves, celle où tous les êtres sont libres et égaux en droit, où tous les biens sont mis en commun. Bientôt Tom TEW, un vrai pirate celui-là, se joint à eux et adhère ou feint d'adhérer à l'idéal de LIBERTALIA. Dans cette république uniquement composée de marins avides d'aventures et d'indépendance, de nationalités diverses, vont être créés une langue et une religion communes, une constitution, un code civil et tous les éléments d'une cité exemplaire réunis sous un même drapeau. Le beau rêve devenu réalité ne durera que quelques printemps...
LE PIRATE DE DIEU marque le retour de Thomas NARCEJAC, qui poursuit parallèlement son célèbre cycle romanesque avec Pierre BOILEAU, à une œuvre d'inspiration maritime, commencée il y a une vingtaine d'années, laquelle représente un aspect non moins attachant de son talent.
Robert de la Croix a publié de nombreux livres historiques sur les aventures de la mer, la plupart traduits aux Etats-Unis, Grande-Bretagne et Japon. Son "Histoire de la Piraterie" a été couronné par d'académie de Marine.

(dos de la couverture de LIBERTALIA OU LE PIRATE DE DIEU, Editions France-Empire, 1979)

Poèmes Marins





























Migrations, en 1948







La plaquette de poèmes Migrations en 1948

Sillages, en 1943











Replié avec sa famille à Nantes, Robert de la Croix s'y découvre des goûts pour la poésie comme cette ville sait les faire germer, par le mystère des ses quais abolis, de ses bassins comblés, de ses passages. Il fera éditer sa première plaquette de poèmes, Sillages en 1943
(in Revue Thalassa n°23 de mars 1988, portrait de Robert de la Croix par Philippe M. Denizot)

"La poésie n'est souvent que maladresse et balbutiement, mais cette gaucherie porte en elle quelque chose de sauvage et cette langue boîteuse laisse échapper des accents si impérieux que les plus inattentifs sont forcés d'y prêter attention même si l'oreille et la raison s'en trouve offusqués.
La jeunesse est inimitable. De plus, elle a des intuitions que les autres âges ne connaissent pas. Il faut qu'elle en ait gros sur le cœur pour chanter avec tant d'insistance - ne fût-ce que pour s'enchanter elle-même.
Si intrigants que soient leurs messages, les poètes d'aujourd'hui ont fini par convaincre que le style, le rythme, les images et non le sens du discours font la trame de la poésie. Le style c'est l'homme. Le rythme c'est la vie, la chaleur, la respiration même de l'œuvre d'art. Les images en sont l'attrait, l'éclat et l'envol. La musique, ou le sens littéral, ou l'un et l'autre peuvent venir s'ajouter à l'essentiel comme une grâce supplémentaire qui parachève la beauté d'un poème et comble notre plaisir. Mais gardons-nous de juger le principal sur l'accessoire.
Cinq poètes se présentent ici dans la diversité de leurs tempéraments. Si l'un est vigoureux empoigneur du verbe et un grand allumeur d'images, un autre sera un artisan très subtil. L'un se dérobe, l'autre s'abandonne. L'un cultive la ferveur et l'élan, un autre est plein de réticences et d'allusions. L'un brûle, un autre savour, un troisième cherche et lutte, un quatrième affirme, un dernier, se souvenant de rythmes anciens leur donne une modulation nouvelle.
Cinq jeunes gens se tiennent la main devant nous. Cinq mondes différents obéissent chacun à son attraction particulière, cinq poètes unis par une commune passion et par une commune jeunesse, affrontent la désolation actuelle et déjà dirait Beaudelaire, le Printemps adorable retrouve son odeur.
(Préface de Julien Lanoë à la plaquette de Poèmes Sillages, cahiers de l'Arcture, Nantes 1943)




mardi 28 décembre 2010

"Châtiment et Vengeance du Poète" de Paul Fort à Robert de la Croix


"Châtiment et Vengeance du Poète" de Paul Fort à Robert de la Croix



Quelques mots de Paul Fort à Jacqueline de la Croix, sœur de l'écrivain et ancienne présidente de l'Association des Amis de Robert de la Croix, lors de son mariage en 1953 avec Gérard Hautebert.

HORIZON, revue des Lettres aux éditions "Aux portes du large" 3, allée Jean-Bart à Nantes

Comme le poète Paul Fort est venu s'installer à Nantes durant la seconde guerre mondiale, un petit cercle littéraire se forme autour de lui: Robert de la Croix n'est pas le moins enthousiaste autour du vieux maître toujours coiffé d'un béret rabattu sur l'oreille. A lui seront dédiés les Ballades nantaises de Paul Fort. Aussi, après la Libération, quand plusieurs libraires nantais veulent créer une revue littéraire, font-ils appel au jeune marin saisi par la poésie, le chargeant de la rédaction en chef du nouveau titre: Horizon.
Cette revue quand on en relit les exemplaires imprimés sur l'épais papier bouffant d'après-guerre, étonne par la qualité rare de ses collaborateurs. De la Croix publie Mac-Orlan, Paulhan, Béalu, Max Jacob, Julien Gracq, Supervielle, Francis Ponge. Avec l'aide de son ami René-Guy Cadou, débarquant de son école voisine, il traduit James Joyce, Oscar Wilde, Henry Miller, Rilke. Horizon, qui n'a duré que le temps d'une douzaine de parutions, avait un rayonnement national et une personnalité indiscutable. (in portrait de Philippe M. Denizot, Thalassa n°23 de mars 1988)
"Désormais une ligne existe tangente à tous les points de l'eau universelle, une ligne mystérieuse posée là et que l'homme futur poursuivra, exalté par elle, une ligne toute nue qui reculera quand on pensera s'en rapprocher, une abstraction vers quoi se dirigeront des êtres appelés voyageurs ou hirondelles ou poètes et qui enfermera dans son cercle magique indéfiniment élargi des découvertes et des poèmes"
Francis James (Le Chant de l'Horizon, extrait cité en épilogue dans la revue Horizon)

jeudi 23 décembre 2010

Avant-propos de Jean-François Deniau aux "Poèmes de la mer"





















Robert de la Croix, issu d'une vieille famille lorientaise et nantaise, capitaine au long cours, journaliste et grand écrivain maritime, a laissé - avant de disparaître en 1987 - une quinzaine de livres consacrés à la mer, presque tous couronnés de prix, et chez le même éditeur, Les Ecrivains de la mer, anthologie de la prose maritime que Bernard Poirot-Delpech a largement évoquée lors de sa parution en 1986. Christian de Bartillat a eu la chance récemment de retrouver cette "Anthologie des poètes de la mer", ouvrage qui est le frère jumeau des Ecrivains de la mer, mais cette fois consacré à la poésie.
Étonnante découverte! On pouvait penser que les Français n'avaient pas la fibre maritime. En fait, depuis le Moyen Âge jusqu'à nos jours, la mer est un thème permanent de notre littérature, beaucoup plus en vers qu'en prose. Peut-être justement parce que nous la connaissons mal, qu'elle reste pour nous irréelle. Panorama fantastique où les flots calmes ou tumultueux, déchaînent le rêve des hommes, les images maritimes se chargent de symboles et de messages.
Cette anthologie est également une chronologie. Selon les modes et les époques de l'Histoire, la mer toujours renouvelée chante navigations tragiques et merveilleuses du moyen Âge dans un milieu animé de dieux et de sirènes, puis les grandes découvertes de la Renaissance où le goût de l'aventure se marie avec une sorte de majesté divine. Règne dans notre littérature "la mer mythologique'. L'époque classique est rebelle au charme poétique de la mer qui disparaît pratiquement au siècle de Louis XIV et des Lumières. la mer n'est pas classique. Elle ne porte pas de perruque. Elle ne s'explique pas.
Avec le romantisme, la nature reprend ses droits et la mer les siens en tant que "grand paysage". Évocation de Chateaubriand, épopées hugoliennes, songeries de Lamartine, solitudes de Vigny. Désormais la mer est à tous, partout, inspirant les profondeurs de Lautréamont, les délires de Rimbaud, ou les visions marmoréennes de Mallarmé. Est-ce vraiment la mer? Ce ne sont peut-être pas ceux qui la pratiquent le plus qui la chantent le mieux.
Dans notre XXème siècle, parmi tant d'autres, Claudel y découvre l'infinie traversée, Valéry son Cimetière marin, Saint John Perse voit l'océan comme un songe. pour notre mode moderne trop cartographié et médiatisé, elle reste l'aventure et l'imaginaire. J'espère qu'il en sera ainsi pour l'éternité.
La mer est une grande brouilleuse de cartes, effaceuse de traces, perdeuse de fil. Elle est en même temps une vérité avec laquelle on ne triche pas et le monde de toutes les contradictions. Elle est pour l'homme le symbole de la liberté, et l'homme y vit comme en prison. Elle est encore source de vie et image du linceul. Tout y a peut-être commencé, sans doute. Tout y finira peut-être. Muette? Ah non! Elle n'arrête pas de parler, murmurer, gronder, et pas seulement dans les coquillages à l'oreille des enfants. Mais qui peut deviner son mystère et saisir son message? Codé, tout est codé. La mer ne parle qu'une langue, la sienne, et qui restera secrète aussi longtemps qu'elle. Elle est faite pour les poètes.

Jean-François Deniau, auteur de La mer est ronde et de La Désirade, a bien voulu préfacer Poèmes de la mer de Robert de la Croix.

Robert de la Croix: La Mer, toujours recommencée de Jean Mabire, semaine du 22 au 28 juillet 1993.


Une rue à Lorient, sa ville natale, un prix littéraire décerné chaque année en juillet, lors du salon du Livre maritime de Concarneau, une très active société d'amis fidèles et l'influence de nombre de ses livres, tout cela contribue à maintenir la présence de Robert de la Croix vivante parmi nous.
Appliquant au récit d'aventure sur tous les océans les meilleurs recettes de ce que l'on peut nommer le journalisme historique, cet ancien officier de la Marine marchande devenu écrivain, s'inscrit dans le sillage de Paul Chack, de Peisson, de Quéffelec ou de Jean Merrien. Sous sa plume, d'innombrables épisodes de l'histoire maritime, de tous les pays et de touts les océans, deviennent de véritables petites nouvelles, dominées par la figure héroïque de quelque grand marin, célèbre ou inconnu, et animées par la confrontation passionnée de l'homme et des éléments, tantôt paisibles et tantôt furieux, mais toujours fascinants.
De cette tragédie aux mille actes divers, il a su créer, tout au long d'une vingtaine de volumes, une fantastique épopée de courage, de l'esprit d'aventure et de ce que l'on nomme, dans le grand métier, "le service de la mer".

Il est des cités qui imposent des vocations. Fils du directeur d'une importante conserverie, Robert de la Croix naît à Lorient le 21 janvier 1921 et se destine très tôt à une carrière maritime.
Pourtant, il va faire la plus grande partie de ses études à Paris, jeune breton de l'émigration hanté par le souvenir constant de sa ville natale et des navires qui ont fait la renommée du grand port de l'Armorique méridonale. Plutôt que la "Royale", il décide de choisir la "Marchande" et passe à Nantes, avec succès, les épreuves de brevet d'officier.
Avoir vingt ans en 1940 peut bousculer bien des carrières. Promu lieutenant, ce jeune officier de marine marchande parvient à embarquer à bord des navires de la Transat. Il va faire deux ou trois voyages sur les côtes africaines au temps où existe encore, dans les convulsions et les incertitudes d'un gigantesque conflit planétaire, une France d'Outremer.
Mais les événements imposent leur loi, et Robert de la Croix ne tarde pas à se retrouver en indisponibilité. Il pose son sac à terre dans cette ville de Nantes qui se souvient toujours d'avoir été la capitale ambitieuse et conquérante, trouvant sa fortune dans les sept mers du globe. Cette ville l'emporte dans ses charmes insolites, presque secrets. A force de parcourir les quais, les ruelles, les passages, les milles dédales d'une cité toute entière placée sous le signe magique du grand fleuve et de la mer, le marin devient poète.

Il séduit Paul Fort

Dès 1943, il fait paraître une plaquette intitulée Sillages. Il y montre un indéniable talent qui séduit un écrivain assez injustement oublié aujourd'hui, Paul Fort, que ses contemporains et ses admirateurs ont alors sacré "prince des poètes", titre de gloire qui n'appartiendra jamais qu'à lui seul.
C'est bien dans son sillage qu'entend se situer le jeune Robert de la Croix, promu, au lendemain de la guerre qui a ravagé Nantes, rédacteur en chef d'une revue qui porte, elle aussi, un titre inspiré par les vastes espaces marins: Horizons. Certes, il n'y aura guère plus d'une douzaines de numéros, mais on y retrouve de grandes signatures, de Mac Orlan à Julien Gracq, en passant par Supervielle.
Marin et poète, il reste à Robert de la Croix à gagner un vaste public. le journalisme va lui la méthode et le style qui lui permettront un jour de s'affirmer grand écrivain populaire. Il collabore à l'hebdomadaire Carrefour, qui est, effectivement, un lieu de rencontre pour des hommes venus d'horizons très différents.
En 1953, voici maintenant quarante ans, il publie son premier recueil de récits historiques: Les Disparus du Pôle.
Quatre récits, à la fois très documentés et fort bien mis en scène, retracent le destin tragique des navires de Frankin Erebus et Terror, du ballon du suédois Andrée, de l'équipage de l'ancien chalutier russe Sainte-Anne et du dirigeable de l'italien Nobile. L'auteur de ces récits a d'emblée trouvé le ton juste, celui qui fait du lecteur un véritable complice, immédiatement conquis par le ton intrigue, l'atmosphère de ces histoires véridiques.
La grande habileté de Robert de la Croix est de choisir des sujets qui recèlent toujours une part d'ombre inexpliquée. C'est ce qui donne à certains de ses livres maritimes le "suspense" des romans policiers. Ainsi, Mystères de la Mer, Les Disparus du Pacifique, Navires sans retour, Mystères des îles, Vaisseaux sans fantômes et épaves errantes.

Familier des archives

Son désir d'embrasser dans une vaste synthèse les élans des cœurs aventureux le conduit à écrire une Histoire de la Piraterie, une vaste fresque sur les Bretons à la découverte du monde, ainsi qu'une série d'Histoires extraordinaires, consacrée, comme bien entendu, à la mer et à l'exploration.
Familier des archives, il possède incontestablement le don de rendre étrangement vivants les rapports de la mer les plus arides et les plus secs. Il en tire de véritables "sagas", dont les héros redeviennent des êtres de chair et de sang, aux prises avec les pièges et les fureurs d'un océan sans cesse affronté.
Ce tranquille fumeur de pipe, qui apparaît toujours à ses amis au centre d'un nuage à la tenace odeur de tabac, est, au secret de lui-même, un aventurier, compagnon de ces hommes dont il nous raconte inlassablement les traversées, les escales, les affrontements avec les courants et les tempêtes. Il le dira très bien lui-même:"Écrire, c'est continuer à naviguer".
Ses livres sont traduits dans le monde entier. Grâce à lui, le public de langue anglaise, espagnole, portugaise ou même japonaise découvre cet univers maritime qui fait partie intégrante de son patrimoine.
Restituer ainsi l'héritage ancestral des grandes nations maritimes va bien au-delà du simple plaisir du lecteur. c'est une incessante invite à la connaissance des grandes figures de nos peuples des rivages et des ports que nous convie ce breton séduit par tous les récits du légendaire ancestral.
La familiarité de l'Histoire n'est-elle pas une véritable nécessité, en des temps où l'on cherche à évacuer le passé, surtout s'il est héroïque? Dans un pays qui renie trop souvent une vocation maritime, que devrait pourtant imposer la géographie, les livres de Robert de la Croix apparaissent d'une grande salubrité.
Si les bons sentiments y sont de rigueur, il faut bien souligner la qualité proprement littéraire d'une telle œuvre, qui comporte près de vingt volumes et que la mort de l'auteur a tragiquement interrompue en janvier 1987.
Un de ses tout derniers livres est peut-être le meilleur. Il ne s'agit plus cette fois, de courts récits historiques, mais d'un grand panorama critique: Les écrivains de la mer, publié par Christian de Bartillat, dans sa collection "Terroirs de France", l'année qui précéda la mort de l'auteur.
C'est là une remarquable évocation de tous les écrivains qui, un jour ou l'autre, ont cédé à l'envoûtement de la mer. Le premier nom cité apparaît un peu insolite, c'est celui de Rabelais, Robert de la Croix justifie pourtant ce choix: il raconte que le créateur de Pantagruel serait même venu à Saint-Malo pour se documenter auprès du célèbre navigateur Jacques Cartier. C'est là une démarche qui est tout à fait dans la manière de celui qui devrait devenir, quatre siècles plus tard, le narrateur des "grandeurs et servitudes maritimes du monde entier.

Jean Mabire

portrait de Philippe M. Denizot, Thalassa n°23 - mars 1988


Robert de la Croix

Il y a un an nous quittait cet excellent historien maritime qu'était Robert de la Croix. En 18 livres, il a ressuscité des centaines d'histoires dont sa plume faisait autant de nouvelles riches d'aventures et de découvertes. Le poète, journaliste et écrivain était avant tout un conteur attaché à la vérité des faits.

Eh bien, moi, je ne marcherai jamais plus sur les quais de Nantes sans penser que là est née il y a 45 ans la vocation d'un de nos meilleurs écrivains maritimes, disparu en janvier 87 dans un quasi silence, Robert de la Croix!
Le palmarès de cet homme trop discret, fidèle des bibliothèques et trop éloigné des rendez-vous convenus du petit monde littéraire, a été non seulement honorable mais exemplaire: trois de ses dix-huit livres furent couronnés par l'Académie Française, et l'ensemble de son œuvre reçut, en 1985, le Prix de la Mer de l'Association des écrivains de langue française, l'ADELF. Quelques mois avant sa disparition, à 66 ans, Robert de la Croix avait publié une anthologie des écrivains ayant traité de la mer, un ouvrage qui était devenu nécessaire depuis de nombreuses années. On y trouve la confirmation que si nous n'avons pas de Melville, de Conrad, de Stevenson, une littérature maritime existe bien en France, irrégulière mais complètement attachante. Et qui ne susciterait pas le regain d'intérêt que l'on observe en ce moment sans les patients travaux de De la Croix. Né à Lorient, le 21 janvier 1921, ce fils du directeur d'une importante conserverie fit la plus grande partie de ses études à Paris mais vint à Nantes décrocher son diplôme d'officier de Marine marchande. L'époque - 1940- se prêtait peu aux carrières tracées d'avance, et le lieutenant de la Croix, après deux ou trois voyages sur les côtes africaines à bord de navires de la Transat, se retrouva en disponibilité.

Le poète sur les quais

Replié avec sa famille à Nantes, il s'y découvre des goûts pour la poésie comme cette ville sait les faire germer, par le mystère de ses quais abolis, de ses bassins comblés, de ses passages. Des plaquettes de poèmes: Sillages en 1943, Poèmes marins, Migrations en 1948, en témoignent, et le jeune homme rêve bien entendu d'un roman, sous le titre Est descendu aux Enfers.
Comme le poète Paul Fort est venu s'installer à Nantes, un petit cercle littéraire se forme autour du vieux maître toujours coiffé d'un béret rabattu sur les oreilles. A lui seront dédiés les Ballades nantaises de Paul Fort. Aussi, après la Libération, quand plusieurs libraires nantais veulent créer une revue littéraire, font-ils appel au jeune marin saisi par la poésie, le chargeant de la rédaction en chef du nouveau titre Horizons. Cette revue, quand on en relit les exemplaires imprimés sur l'épais papier bouffant d'après-guerre, étonne par la qualité rare de ses collaborateurs. De la Croix publie Mac Orlan, Paulan, Béalu, Max Jacob, Julien Gracq, Supervielle, Francis Ponge. Avec l'aide de son ami René-Guy Cadou, débarquant de son école voisine, il traduit James Joyce, Oscar Wilde, Henry Miller, Rilke. Horizons, qui n'a duré que le temps d'une douzaine de parutions, avait un rayonnement national et une personnalité indiscutable. Mais on vit mal de la poésie.
Aussi retrouve-t-on de la Croix à Paris, dans l'équipe de la rédaction de l'hebdomadaire Carrefour, aux côtés de Gilbert Prouteau, de Morvan Lebesque, Max-Pol Fouchet, etc...Sa carte de journaliste porte le numéro 11.503. Mais n'a pas le tempérament de Kessel qui veut. Aux élucubrations de comptoir, de la Croix journaliste préfère un échiquier et une bonne bruyère; l'écriture éphémère le fait vivre, mais il attend mieux. Quand paraît son premier livre, Les Disparus du Pôle, en 1953, quand l'Académie Française lui attribue un prix et qu'un éditeur new yorkais fait immédiatement traduire cette première œuvre, son choix est fait: il sera un raconteur de ces péripéties qui ne font plus de gros titres dans la presse mais que l'on aime retrouver, éclairées par l'histoire, et qui font dire, le livre refermé: "Mais c'est pourtant vrai!..."
Robert de la Croix n'a jamais renié ses débuts de journaliste, il a toujours revendiqué ses recherches historiques comme une forme de reportage, à l'opposé de l'histoire romancée. Pendant quelques années, il accumule notes et fiches sur les explorateurs de l'océan Pacifique, du continent antarctique, sur les pionniers de l'aviation. le public suit les émerveillements de ce conteur sans fioritures qui compose bon an mal an un livre aussitôt traduit en américain, en portugais, en espagnol, en japonais même.

Le conteur marin

Mais l'océan va reprendre le dessus à partir de 1957, année où paraît Le Mystère de la Mer. Proche de la quarantaine, de la Croix possède une maturité d'écriture qui lui permet d'envisager une carrière dans ce qui lui semble inexploitée: la vulgarisation de l'histoire maritime. Le voici habitué des salles de lecture des archives de la Marine, au fort de Vincennes, de la Bibliothèque Nationale, du Musée de la Marine. Il apprend le portugais et l'espagnol pour aller aussi dans les centres de documentation étrangers. sa silhouette d'éternel fumeur de pipe, passionné de gravures anciennes et de musique classique, est familière aux bibliothécaires, qui apprécient la précision de ses recherches. Le neuvième livre qu'il publie reçoit, à son tour, un prix de l'Académie Française en 1964.
Les dix années qui suivent ne verront que des rééditions, des traductions, des adaptations, car R. de la Croix observe une pause. Ses collaborations au magazine Marco Polo, à Atlas que dirige Paul-Emile Victor, à la radio, lui laissent peu de temps. Une diversification intéressante que ses adaptations en dramatiques radio de jules Verne, Chateaubriand, Conrad, Quéffelec ou de la vie de Charcot. Mais de la Croix reste le défricheur de l'histoire maritime. et s'il vérifie, en écrivant pour les micros, ce pouvoir de conteur qui subjugue ses neveux, les projets de livres ne sont pas abandonnés. L'Histoire de la Piraterie, en 1974, retiendra encore une fois les suffrages de l'Académie Française et on la traduira en Amérique du Nord et du Sud. Cette consécration va-t-elle tirer le célibataire obstiné vers les cénacles où les écrivains bretons aiment à se retrouver? Inutile d'insister. Et si, en 1979, il travaille pour la première fois avec Narcejac sur la vie romancée du pirate Misson, fondateur de la république utopique de Libertalia, au XVIIIème siècle, la tentative est sans suite et d'ailleurs sans éclat. De la Croix oubliera délibérément ce livre dans la liste "du même auteur" sur ses livres ouvrages suivants.
Le rythme de la publication annuelle a repris: des vieux dossiers sortent les mystères de la Mary-Celeste, du Titanic, des galions mirifiques, des naufrages inexpliqués. Les Anglo-saxons, reconnaissant dans ce Français attelé à son œuvre comme un patient artisan un maître de la "short story", le traduisent immédiatement en livre de poche, ce qui n'arrivera jamais en France. Comme l'a écrit l'hebdomadaire Le Marin "Il nous raconte ses histoires tellement bien qu'on finit par le soupçonner d'y être pour quelque chose".

Côté mystères

Avec l'âge, Robert de la Croix a su conserver cette jubilation de l'écriture qui saisit à la découverte des mille liens qui tissent une histoire enfouie dans le passé et que l'on va réanimer, en sachant que le plus invraisemblable pourra bien étonner le lecteur, mais que c'est de la pure vérité. Ce qui n'empêche pas de rêver sous les cocotiers jamais rencontrés, à deux pas de l'eau turquoise d'îles visitées par des images seules, sous la menace de typhons parfaitement décrits et tout à fait imaginés. De la Croix, dont la plume courait la nuit, après les recherches de la journée, devait réveiller ses chats en jetant sur le papier les solides bagarres de pirates, les coups de gueule de Vasco de Gama, les drakkars ballottés par la tempête. Il dépoussiérait à tour de bras une histoire maritime embaumée par des cohortes de vieux amiraux et de cuistres renommés. Vaisseaux fantômes et épaves errantes, Histoires extraordinaires de la Mer, mystère, mystères.
De livres en livres, le monde va s'expliquant par la mer, ce qui est peut-être un peu court mais donne des pages gorgées de vie et de détails rigoureux puisés aux meilleurs sources. Le solitaire qui allait fumer sa pipe sous les arbres du Père-Lachaise, qui visitait et revisitait Venise en rêvant de Marco-Polo, nous semblait à tous un père Noël dont la hotte contenait mille et mille histoires dont chaque année nous ferait un somptueux présent. "Écrire, disait-il, c'est continuer à naviguer".
Mais il y a des embarquements impérieux. ce vieux rêve de roman, enfoui depuis près de quarante ans, il fallait qu'il ne reste pas mirifique eldorado de librairie...La romancière Irène Frain, qui a fait ses premières armes dans les ouvrages documentaires avant d'en tirer le sujet de son éclatant Nabab, se souvient d'avoir reçu un jour Robert de la Croix, venu "en voisin", disait-il. Initiative peu fréquente entre littérateurs. De la Croix voulait savoir par quelle démarche on peut jeter une passerelle entre le document et le roman. "J'ai eu l'impression que c'était très important pour lui." dit Irène Frain.

Le sillage

Effectivement, après l'établissement de son anthologie des écrivains de la mer, il s'était mis à construire un roman sur le départ de Christophe Colomb, et dont le mot fin ne sera jamais écrit. Le marin interrompu se retrouve dans le romancier inachevé. A d'autres de jouer la carte des épopées, à d'autres qui doivent d'avoir redécouvert les possibilités du roman d'aventures maritimes au fait que durant un tiers de siècle, un maître-artisan de la plume a été quasiment seul à conserver à ce genre un public fidèle dont la curiosité était payée de retour. On n'a pas attendu l'année dernière pour piller les récits documentés de De la Croix, mais c'est, en somme, qu'il est à son tour devenu une source reconnue. Il n'y a guère que ses éditeurs, dont il devait tenir à distance les mœurs de sagouins, qui ne soient pas au courant. Mais les livres, contrairement aux plus beaux navires, ne vont pas inéluctablement à la casse, ils virent de leur sillage innombrable et leurs voyages n'ont d'autres buts que de vérifier nos rêves.

Philippe M. DENIZOT